En 2022, nous avons soumis trois articles parus dans des revues internationales à comité de lecture ainsi qu'un article dans une revue régionale à comité de lecture.
Publier dans de telles revues nous permet de transmettre connaissances et outils à la communauté scientifique ainsi qu'aux acteurs des écosystèmes que nous étudions, mais également de faire valider nos travaux de manière indépendante par des spécialistes du domaine. Ainsi, cette démarche permet de démontrer la fiabilité de nos travaux de recherche.
Les trois articles publiés dans des revues internationales sont tous associés à notre projet de recherche BIOME (BIOindication Mares et Etangs, financé par aquabio, une IPME biodiversité pilotée par l'ADEME, et la FDAAPPMA de Gironde), fruit de dix ans de travaux de recherche et de données récoltées sur plus de 300 plans d'eau de France continentale, visant à développer un indice pour les mares et étangs (plans d'eau peu profonds jusqu'à 50 ha): l'indice BECOME (Bioévaluation des ECOsystèmes Mares et Etangs).
Les deux articles dont nous discuterons ici ont été rédigés dans le cadre d'une thèse sous la direction de Christophe Piscart et Gabrielle Thiébaut (Université de Rennes 1 & CNRS). Ils proposent deux protocoles à utiliser pour suivre les macrophytes et les invertébrés des mares et étangs. Ces protocoles sont comparés à d'autres méthodes d'échantillonnage. Sont présentés également dans les articles quelques résultats permettant de mieux comprendre les facteurs environnementaux qui expliquent la distribution ou la structure des communautés. Nous allons discuter de l'efficacité de ces protocoles à la lumière de résultats obtenus sur le lac de Bourdouze en Auvergne (données non publiées). Ces deux articles sont disponibles sur demande sur la page researchgate du premier auteur.
La publication de ces articles s'inscrit dans une démarche finalement assez originale dans le domaine de la bioindication, car toutes les étapes font l'objet d'une validation indépendante par des pairs. Aucun autre indicateur ou protocole appliquable en France basé sur les macrophytes et les invertébrés des petits plans d'eau n'a fait l'objet d'une validation scientifique indépendante.
Labat F., Piscart C. & Thiebaut G., 2022a. – Invertebrates in small shallow lakes and ponds: a new sampling method to study the influence of environmental factors on their communities. Aquatic Ecology, 56 doi : 10.1007/s10452-021-09939-1.
Le protocole invertébrés a été conçu pour obtenir l'image la plus représentative possible de la communauté en place en réalisant un minimum d'échantillons - et donc avec un coût minimal -. La résolution taxonomique (choix d'identifier certains groupes au genre ou à la famille), également déterminante pour le temps d'analyse, donc le coût du suivi, est issue de travaux déjà publiés en 2017 (Labat, 2017). Ainsi, contrairement au protocole associé à l'indice DCE IML (Dedieu & Verneaux, 2019, adapté aux plans d'eau DCE, généralement >50ha, mais certains plans d'eau des réseaux de suivi font moins de 50 ha et sont assimilables à des étangs), nous avons fait le choix de ne pas identifier les Chironomidae au genre. Toutefois, la richesse totale obtenue est très fortement corrélée à la richesse specifique tous groupes confondus, incluant les Chironomidae (Labat, 2017). Le temps d'analyse est ainsi de 1-3 jours pour BECOME, de 2-3 semaines pour l'IML, selon l'expérience des opérateurs, pour un temps d'échantillonnage comparable.
Les résultats de notre article de 2022 mettent notamment en évidence que la végétation littorale (<20cm de profondeur) est une zone d'accueil fondamentale pour la majorité des invertébrés. Ce résultat a des conséquences importantes dans le choix de la méthode à sélectionner pour évaluer un plan d'eau. Ainsi, le protocole IML exclut ces habitats littoraux, d'après une supposée variabilité de ces habitats. Cependant, les publications sur lesquelles reposent ce choix (Brodersen, 1995 ; Scheifhacken et al., 2007) n'ont analysé que la variabilité des habitats non végétalisés sur de très grands plans d'eau (avec un fort impact du vent). Ces habitats sont très pauvres donc statistiquement très variables, ce qui n'est pas le cas des habitats végétalisés, en particulier dans les petits plans d'eau. Par conséquent, appliquer le protocole DCE indice "IML" sur un plan d'eau peu profond de moins de 50 ha peut ne pas permettre d'obtenir une image représentative de la faune caractéristique de ces milieux, qui se réfugie principalement dans ces habitats rivulaires. Cela peut être problématique si on s'intéresse à l'intérêt patrimonial d'un plan d'eau peu profond (ce n'est pas l'objectif de l'IML), ou à certains impacts de pressions comme l'empoissonnement (non considérée par la DCE), cette pratique étant connue pour avoir un impact très important sur le fonctionnement de ces milieux (Moss et al., 1997 ; Scheffer, 2004 ) et sur les espèces les plus caractéristiques des mares et étangs (Labat, 2021 ; Nieoczym et al., 2023). Au contraire, exclure ces habitats et identifier les Chironomidae peut être une force pour évaluer l'impact d'autres pressions sur des grands plans d'eau : tous ces plans d'eau étant peuplés par des poissons, exclure une bonne partie des invertébrés nageurs sensibles à la prédation piscicole et s'intéresser plus en détail à un groupe qui l'est peu peut permettre de s'affranchir plus facilement de ce facteur.
Ainsi, si l'on compare les richesses taxonomiques observées avec trois protocoles (IML, S3i et ICOCAM, protocole utilisé pour évaluer l'état de conservation de certaines mares en France à partir des Coléoptères aquatiques (Picard, 2016)) sur le lac de Bourdouze, plans d'eau peu profond de 19 ha, on observe que la faune caractéristique des milieux stagnants (Coleoptera, Heteroptera et Odonata) est moins riche avec l'IML (Figure 1). Celui-ci est plus performant pour les Trichoptères : c'est lié à la différence de période d'échantillonnage, début du printemps pour l'IML, été pour S3i, la majorité des Trichoptères en plans d'eau émergeant en général au printemps. La richesse en Chironomidae d'après l'IML est de 18 taxons, ce qui correspond à 26% de la richesse totale. L'indice ICOCAM, en ne considérant que les Coléoptères aquatiques (ici, nous n'avons capturé qu'une seule espèce par genre) est très peu informatif sur un plan d'eau de grande taille comme Bourdouze (10% de la richesse totale). Nous avons donc trois protocoles aux objectifs très différents, adaptés à des milieux bien spécifiques, avec des indicateurs associés qui ne sont probablement pas sensibles de la même manière aux pressions. L'indice ICOCAM, qui ne s'intéresse qu'aux Coléoptères, est probablement plus sensible à la présence de poissons, et moins sensibles aux autres pressions (faute de publication sur l'ICOCAM, il n'est pas possible de s'assurer de la relation entre pressions et indice). L'indice BECOME (protocole S3i) est sensible à une très large gamme de pressions (Labat & Usseglio-Polatera, in prep.), mais n'est pas conçu pour évaluer l'effet du marnage des grandes retenues comme l'IML.
Il convient donc de bien choisir le protocole le plus adapté au milieu et aux questions posées.
Figure 1 : comparaison des richesses taxonomiques par grands groupes d'invertébrés obtenus avec les protocoles IML et S3i. Les résultats ICOCAM ont été déduits de la liste complète issue des deux protocoles. Les niveaux taxonomiques ont été harmonisés pour faciliter la comparaison
Dans cet article, nous démontrons la flexibilité du protocole S3m, que nous avons pu appliquer sur des plans d'eau de 1m² à 42 ha. Nous obtenons des résultats globalement équivalents à des méthodes par quadrat ou par cartographie, avec toutefois des temps d'échantillonnage beaucoup plus courts, et une meilleure capacité à détecter les espèces rares ou exotiques que les méthodes par transects ou quadrats. Il s'agit donc d'un protocole rapide plus adapté à la gestion conservatoire que les protocoles IBML et IBEM par exemple. Ainsi, si nous comparons les résultats obtenus sur le lac de Bourdouze avec le protocole S3m et IBML (Figure 2), le protocole S3m permet d'obtenir une richesse taxonomique et un nombre d'espèces protégées au niveau national plus élevés qu'avec le protocole IBML, avec un temps sensiblement inférieur pour le protocole S3m (sur des plans d'eau de beaucoup plus grande taille, le temps de relevé du protocole IBML serait bien évidemment plus court!). Là encore, nous avons deux protocoles aux objectifs bien différents : l'objectif du protocole IBML est d'obtenir un état "trophique", il convient juste de relever suffisamment de taxons avec un profil écologique pour calculer un IBML, ce qui est assez "facile" à obtenir sur des grands plans d'eau, naturellement plus riches en espèce. L'objectif du protocole S3m est d'évaluer un état de conservation et un état écologique (dont trophique) face à un plus large panel de pressions (indice BECOME, volet macrophytes), et d'évaluer l'efficacité des mesures de gestion sur l'intérêt conservatoire ou le fonctionnement du plan d'eau. La pression d'échantillonnage est adaptée pour récolter un maximum d'information (en un minimum de temps), ce qui est fondamental pour des petits plans d'eau, naturellement plus pauvres en espèces (Labat et al., 2021). Il convient donc là encore de sélectionner le protocole d'échantillonnage le plus adapté pour répondre aux questions posées.
Rédigé par Frédéric Labat le 06/01/2023
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