Petit aperçu de la diversité des plans d'eau qui ont été échantillonnés pour développer l'indice
La bioindication des mares et étangs est un défi scientifique de taille. À l'exception de l'indice PSYM en Grande-Bretagne (Biggs et al., 2000), aucun indice de bioindication non cantonné à des aires géographiques et types restreints n'a pu être développé pour les mares ou les étangs (e.g. Menetrey et al., 2011, Trigal et al., 2008, Gernes & Helgen, 2002). Des équipes de recherche se sont déjà cassé les dents sur cette question (e.g. Bird et al., 2013), alors que l'on trouve profusion d'indices biologiques pour les cours d'eau ou les plus grands plans d'eau (e.g. Birk et al., 2012). Cette difficulté provient notamment de l'extrême diversité et du dynamisme de ces écosystèmes, et de l'importance significative de nombreux facteurs environnementaux sur les communautés (l'altitude, le climat, la géologie, la superficie, mais aussi l'ombrage, la profondeur moyenne, la connectivité...).
Cette complexité rend les approches typologiques (regrouper ces écosystèmes en types censés abriter des communautés identiques, ou au moins des valeurs de métriques équivalentes) assez hasardeuses, ou en tout cas trop imprécises pour obtenir un indicateur fiable. Si on veut obtenir un indice efficace avec une approche typologique, il faut multiplier les types et complexifier leur définition à un point que ça devient illisible pour les utilisateurs. De plus, c'est difficilement envisageable dans des régions anthropisées comme la France, de nombreux types ne disposant plus de site de référence. Il est donc d'usage de trouver un compromis en optant pour une typologie simplifiée qui caricature les écosystèmes, et qui grève la précision des indices. Ces typologies simplifiées ont des difficultés à prédire les communautés de référence (e.g. Jupke et al., 2023), ce qui peut poser des problèmes pour évaluer correctement l'état de conservation des écosystèmes.
Des modèles qui permettent de prédire avec précision les caractéristiques des communautés en situation de référence, quel que soit le contexte
J'ai donc décidé, à l'image des Britanniques, de m'affranchir de l'approche typologique en développant des modèles permettant de prédire avec précision les caractéristiques des communautés en situation de référence, quel que soit le contexte. Cette approche prédictive a été modernisée avec des outils statistiques récents, et consolidée en m'inspirant des démarches proposées pour développer l'I2M2 (l'indice invertébrébrés pour les cours d'eau français, Mondy et al., 2012). La précédente version de l'indice BECOME, qui reposait notamment sur une typologie plus précise que celle proposée pour les plans d'eau de la directive cadre sur l'eau, avait une efficacité de discrimination "DE" des sites dégradés de 62 %. Cela signifie que l'on avait 38 % de chances de considérer qu'un site dégradé ne l'était pas. Cette imprécision avait des conséquences opérationnelles, car elle pouvait conduire à des erreurs de gestion. Avec cette nouvelle version, il n'y a plus que 6% de chances de se tromper dans l'évaluation.
Ces méthodes reposent toutes sur avis d'expert (IcoCAM, suivis d'amphibiens ou d'odonates...) ou consensus d'experts (indicateurs biologiques de RhoMéo...). Elles n'ont pas fait l'objet de validation statistique ni de publication dans des revues internationales permettant d'évaluer leur fiabilité. Elles permettent, dans le cas des mares et étangs, d'avoir une idée des communautés sur des groupes "parapluie" ou "phares" comme les Odonates, les Amphibiens ou les Coléoptères. L'utilité de tels groupes pour évaluer et gérer des écosystèmes reste très discutée dans la communauté scientifique (e.g. Andelman & Fagan, 2000 ; Lundberg & Arponen, 2022). Par exemple, ces méthodes ont tendance à faire dériver les pratiques de gestion : de nombreux gestionnaires considèrent qu'ils "restaurent" des mares lorsqu'ils mettent en place des mesures pour accueillir des amphibiens ou des libellules. Ce n'est pas de la restauration, mais de la réhabilitation d'une capacité d'accueil pour ces groupes. La restauration consiste à s'approcher d'un écosystème fonctionnel dépourvu de pressions anthropiques (Gann et al., 2019). Si gérer les mares et étangs, c'est faire en sorte qu'ils accueillent un cortège d'espèces à statut ou sympathiques, nous sommes encore loin de la restauration, qui est censée nous apporter un plus grand nombre de services écosystémiques, et des écosystèmes fonctionnels en bon état de conservation.
Cela ne veut pas dire que les indications fournies par ces méthodes sont fausses. Pendant deux décennies, les hydrobiologistes ont utilisé un indice qui ne reposerait que sur avis d'expert: l'IBGN. Mondy et al. ont démontré en 2012 que cet indice avait une DE de 62%, pas si mal pour un indice conçu pour réagir aux pollutions organiques! En comparaison, l'I2M2 (avec les valeurs seuil historiques) a une DE de 82%.
Un design statistique robuste est essentiel pour obtenir un indicateur fiable et opposable
Comment en arrive-t-on à un tel niveau de précision? En respectant quelques règles définies après des décennies d'expérience en bioindication dans le monde (cf. Hering et al., 2006): (1) on évalue un écart par rapport à des écosystèmes de référence (= sans ou très peu de pressions anthropiques, avec des modèles prédictifs ou une typologie définie d'après communautés ou métriques), (2) on s'assure que l'indice discrimine efficacement les sites dégradés (notre fameuse DE), (3) que la corrélation entre l'indice et les pressions est démontrée, (4) la combinaison de métriques qui composent l'indice est issue d'une sélection itérative permettant de choisir la combinaison la plus performante. Aucune méthode d'évaluation des mares et étangs utilisée en France ne respecte au moins un de ces quatre critères assurant une évaluation robuste, et on ignore tout de leur capacité à discriminer des pressions.
Un design statistique robuste est essentiel pour obtenir un indicateur fiable et opposable. Je ne remets pas en cause l'importance du jugement ou du consensus d'experts et de la connaissance empirique pour évaluer les écosystèmes. Celle-ci est même essentielle pour une démarche scientifique robuste (Nanglu et al., 2023). Mais faire de la science, c'est aussi "penser contre le cerveau" (G. Bachelard). L'évaluation d'un écosystème ne doit pas reposer exclusivement sur des jugements d'experts dépourvus de validation statistique. Les connaissances empiriques et théoriques restent indispensables pour identifier les sites qui échappent à l'efficacité d'indicateurs robustes, et apporter une plus-value dans l'interprétation des résultats
Les indicateurs DCE n'ont pas les mêmes objectifs que l'indice BECOME. Leur objectif premier est d'évaluer un état écologique sur des grands plans d'eau, généralement > 50 ha. Les protocoles qui permettent de calculer les indicateurs n'ont pas besoin de détecter des taxons rares, exotiques ou caractéristiques des mares et étangs pour évaluer un état de conservation. BECOME repose sur des protocoles qui permettent de détecter ces taxons pour évaluer l'état de conservation tout en restant représentatifs et reproductibles pour évaluer un état écologique (Labat et al., 2002a, Labat et al, 2022b).
De plus, les indicateurs DCE reposent sur une typologie de plans d'eau européenne très simplificatrice. Cela ne semble pas poser de problème pour évaluer un état écologique sur de grands plans d'eau. Mais plus le plan d'eau est petit, plus l'influence de facteurs environnementaux simplifiés ou non pris en compte par la typologie peut être élevée, ce qui peut altérer la précision des indicateurs DCE.
BECOME prend en compte des pressions biotiques internes, qui ont une influence fondamentale sur le fonctionnement des mares et étangs.
Enfin, BECOME prend en compte un plus grand nombre de pressions que les indices DCE, notamment les pressions "biotiques internes" comme les écrevisses et les poissons exotiques envahissants, les surpopulations d'oiseaux d'eau... Ces pressions ont une influence fondamentale sur le fonctionnement des mares et étangs, et déterminent l'efficacité des mesures de restauration (Abell, 2018 ; Tammeorg et al., 2023). C'est moins le cas sur les grands plans d'eau, en particulier lorsqu'ils sont profonds, et pour lesquels l'impact des pressions issues du bassin versant domine (Cooke et al., 2001). D'un autre côté, BECOME n'a pas été conçu pour répondre à des pressions plus spécifiques aux grands plans d'eau. Ainsi, l'indice DCE invertébrés plans d'eau IML (Dedieu & Verneaux, 2022) est sensible au marnage, afin d'évaluer l'état des grandes retenues artificielles marnantes, alors que BECOME est sensible à l'hydropériode, c'est à dire aux variations de niveau d'eau conduisant à des assecs sur des petits milieux ou des étangs vidangés.
Indices DCE et BECOME ne sont tout simplement pas conçus pour évaluer les mêmes écosystèmes ou répondre aux mêmes problématiques.
Enfin, un apport majeur de BECOME par rapport à tous les indicateurs plans d'eau utilisés en France (et ailleurs) est de proposer un outil diagnostique qui permet d'identifier et hiérarchiser les causes d'altération des communautés. Il permet de piloter des mesures de restauration de l'écosystème évalué. Parce qu'il repose sur des modèles statistiques robustes, il permet de mieux prioriser et négocier des changements de pratiques avec les gestionnaires et usagers du plan d'eau ou de son bassin versant (limiter le piétinement des berges, modifier les pratiques de pêche et d'empoissonnement, agir sur les sources de pollution ponctuelles ou diffuses ...).
Voici un exemple d'évaluation de travaux de "re"naturation sur un réseau de plans d'eau. Il s'agit de plans d'eau interconnectés, légèrement empoissonnés en Cyprinidae, et dans un bassin versant où la pression de pâturage est assez élevée. On y trouve également un certain nombre de nichoirs artificiels pour les canards, ce qui peut provoquer des déséquilibres écologiques (Chaichana, 2009 ; Hansson et al., 2010). Tous ces étangs pâtissent de berges franchement verticales. Les travaux de renaturation ont consisté en un adoucissement des berges et reprofilage de la zone littorale sur les deux plus grands étangs. Il n'y a pas eu d'état initial avant travaux, les deux autres étangs servent donc ici de témoins. Même si ce n'est pas idéal, cette comparaison est possible grâce aux modèles prédictifs qui permettent de "recaler" toutes les métriques qui permettent de calculer l'indice et l'outil diagnostique sur la même échelle.
Même lorsque les travaux de restauration sont d'une efficacité relative, l'outil diagnostique permet de mettre en évidence que les actions menées n'ont pas été inutiles, et de définir quels sont les axes qui restent à améliorer.
Les diagrammes radar de l'outil diagnostique BECOME indiquent que le gain des travaux de renaturation ( >70% du littoral restauré) a été notable sur l'étang renaturé 1, avec une très forte réduction des pressions morphologiques (altération de berge et du littoral). L'étang est en état moyen (BECOME = 0.75) alors que les trois autres sont en état passable (BECOME compris entre 0.43 et 0.56). Si les travaux de renaturation sur l'étang restauré 2 ont été suffisants (environ 50% du littoral restauré) pour réduire l'impact probable des pressions morphologiques en dessous du seuil de significativité (lignes rouges pointillées), le gain sur l'état global de l'étang renaturé 2 est peu significatif (même s'il obtient une note supérieure aux deux témoins). Ces travaux de renaturation sont donc une réussite en demi-teinte, parce que :
Aucune action n'a été menée pour réduire les intrants liés aux pratiques agricoles sur le bassin versant. Les prairies surpâturées sont identifiées ici comme la pression qui a le plus d'impact sur les communautés, en particulier sur les deux plus grands étangs qui drainent des bassins versants plus importants.
L'étang renaturé 2 est alimenté par les eaux des trois autres étangs (pression "polluants externes"), principalement polluées par les prairies surpâturées.
La présence de poissons, en particulier de cyprinidae, est également une pression notable qu'il aurait été souhaitable de réguler (désempoissonnement ou augmentation du stock de poissons piscivores).
Il est aussi possible d'observer d'autres pressions qu'il serait envisageable de mitiger sur ce réseau d'étangs, notamment :
L'étang renaturé 2 semble avoir un peuplement d'oiseau d'eau trop important. Cela peut être lié à l'état du plan d'eau (les grands plans d'eau altérés ont tendance à attirer de plus fortes populations d'oiseaux omnivores), mais aussi aux aménagements en faveur des oiseaux réalisés sur l'ensemble du réseau de plans d'eau.
L'étang témoin 2 possède une zone accessible au bétail, qui vient s'y abreuver. Cette zone abreuvoir présente un impact significatif sur les communautés.
Même lorsque les travaux de restauration sont d'une efficacité relative, l'outil diagnostique permet de mettre en évidence que les actions menées n'ont pas été inutiles, et de définir quels sont les axes qui restent à améliorer.
Etang témoin 1 : BECOME = 0.51 (état passable)
L'indice BECOME et son outil diagnostique permettent donc d'évaluer les mares et les étangs, d'identifier les sources d'altération quand elles existent et de suivre l'efficacité de chaque mesure de mitigation de ces sources d'altération. Ce sont des outils idéaux pour élaborer et faire évoluer un plan de gestion.
Birk S., Bonne W., Borja A., Brucet S., Courrat A., Poikane S., Solimini A., Van de Bund W., Zampoukas N. & Hering D., 2012. - Three hundred ways to assess Europe’s surface waters: An almost complete overview of biological methods to implement the Water Framework Directive. Ecological Indicators, 18, p. 31‑41.
Notre indice BECOME (Bioindication des ECOsystèmes Mares et Etangs) a été révisé fin 2020. Plus sensible aux pressions, il prend également mieux en compte l’état conservatoire des sites.
Cette fin d'année voit la mise en place d’une nouvelle version de notre indice BECOME, dans le cadre de notre démarche habituelle d’amélioration continue. Cette révision a été rendue possible grâce à :
Un jeu de données plus important, récolté dans le cadre d’études commandées par des clients qui nous ont fait confiance, et d’une campagne R&D complémentaire sur des plans d’eau d’altitude pour consolider l’indice au-delà de 1200m,
Une quantification des pressions, qui nous a permis de croiser pressions et 349 métriques candidates,
Une thèse en cours sur les plans d’eau peu profonds à l’Université de Rennes 1, qui nous a alimenté en nouvelles idées, et nous a apporté des éclairages souvent différents sur nos résultats.
L’indice suit désormais toutes les recommandations des indices multimétriques d’intégrité biologique IBI(Hering et al., 2006). Il permet donc de quantifier un niveau d’altération par rapport à une situation de référence (Figure 1).
Figure 1 : Sensibilité de BECOME à un gradient de pressions
0 = aucune pression constatée à 4 : cocktail d’au moins 3 pressions très fortes.
Source : Aquabio
L’indice est désormais composé de 10 métriques et permet toujours d’évaluer les fonctions bio-écologiques majeures apportées par les macrophytes et les invertébrés. Parmi les nouveautés, 2 métriques de conservation, qui contribuent à l’originalité de l’indice, cet aspect n’étant généralement pas intégré dans les IBI :
Le premier repose sur la fréquence des taxons invertébrés récoltés par nos soins sur plus de 1000 stations de milieux aquatiques variées,
Le second correspond à une mesure de déviation du cortège floristique attendu, largement inspirée des travaux d’Oberdorff et al., 2001 pour l’indice poisson rivière IPR.
Vous trouverez plus d’informations sur la nouvelle version de l'indice BECOME du côté de notre coin des experts.
La mise à disposition de cette nouvelle version est disponible sur l’interface web dédiée .
Bibliographie :
Frédéric Labat, notre responsable R&D, a obtenu son doctorat en décembre 2021 sur les facteurs environnementaux déterminants des communautés d’invertébrés et de macrophytes des mares et étangs de France continentale. L’occasion de dresser un bilan de l’avancée de nos travaux sur le suivi et la bioindication des mares et étangs
Ma thèse porte sur deux grands sujets : d’une part, je propose deux « nouveaux » protocoles d’échantillonnages des macrophytes et des invertébrés (ceux qui permettent de calculer notre indice BECOME) applicables aux plans d’eau peu profonds de 1m² à 50ha (tous ceux très peu ou pas suivis par la Directive Cadre sur l’eau) et je les compare avec différentes stratégies d’échantillonnage inspirées de protocoles existants, et d’autre part, à partir de ces nouveaux protocoles, je mets en évidence les facteurs environnementaux (comme le climat, l’altitude, ou encore la taille du plan d’eau) qui influencent les communautés (leur composition, leur richesse, leur intérêt patrimonial…). Ces deux protocoles ont été publiés dans les revues internationales Biodiversity and Conservation et Aquatic Ecology.
Plus de 300 plans d'eau dans une grande diversité de situations ont été échantillonnés en France pour concevoir l'indice.
En effet, c’est assez rare. Cela peut s’expliquer principalement par le coût expérimental que cela requiert : tester des protocoles est très chronophage. La validation méthodologique est donc souvent réalisée de manière implicite à partir de résultats obtenus a posteriori. On considère souvent que le protocole est valide lorsque les indices qui en sont issus discriminent bien des pressions. Pourtant ce n’est pas toujours suffisant, d’autant que l’on a tendance à appliquer ces protocoles pour des questions différentes de celles pour lesquelles ils ont été originellement conçus. Ainsi, on ne sait pas si le protocole IBEM, largement utilisé en dehors de son champ d'application, est robuste pour obtenir une image représentative de la richesse de tous les invertébrés, de la richesse spécifique en Coléoptères, ou des abondances de chaque taxon à l'échelle du plan d'eau. Les conclusions issues de protocoles non validés ou sortis de leur champ d'application d'origine peuvent donc être trompeuses. Tester des protocoles et les comparer à d’autres permet de mieux comprendre la qualité de la donnée récoltée, les limites de chaque protocole pour répondre aux questions posées, et leur influence sur les conclusions que l’on peut tirer des résultats. Ainsi, je démontre pour les macrophytes que l’utilisation de transects pour suivre les macrophytes est efficace pour calculer un indice d’état trophique, mais est très chronophage, et permet mal de détecter des espèces rares ou exotiques et ne donne pas une image représentative de la structure de la communauté. Pour les invertébrés nous avons notamment démontré que les stratégies d'échantillonnage IBEM et dérivés, parce qu'elles négligent la vase, un habitat pauvre en espèces mais souvent dominant, ne permettent pas d'avoir une image représentative de la structure des communautés d'invertébrés ou des traits bio-écologiques (ce n'était pas le but de l'IBEM). Nous avons donc testé et publié nos deux protocoles, dont l’objet principal est de récolter une donnée représentative et reproductible en un minimum de temps, permettant d’évaluer l’état écologique des mares et étangs dans les règles de l’art, mais également leur état de conservation. Leur publication dans des revues internationales est une garantie de la qualité de ces deux protocoles.
Représentation schématique des relations mises en évidence entre facteurs environnementaux déterminants et communautés de macrophytes et d’invertébrés
D’abord pour mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes mares et étangs. Mais pas seulement ! Identifier les facteurs qui influencent les communautés est fondamental dans la construction des indices, car cela permet de repérer quels sont les facteurs environnementaux à prendre en compte pour « s’affranchir » de leur influence. Par exemple, la richesse floristique est très fortement corrélée à la superficie du plan d’eau, mais est aussi influencée par l’altitude. Il faut donc soit définir une typologie de plan d’eau adaptée, pour laquelle sera attribuée des valeurs de référence de chaque métrique/indice (par exemple petit plan d’eau de plaine vs grand plan d’eau de montagne), soit créer des modèles permettant de prédire des valeurs de référence en fonction de ces facteurs déterminants. L'approche typologique, qui est celle retenue en France pour la directive cadre sur l'eau, est plus simple à mettre en œuvre, mais a tendance à caricaturer l’influence des facteurs environnementaux déterminants, et ne peut pas tous les prendre en compte. Mes travaux démontrent que l’altitude, la superficie, la distance à la source, le climat, la géologie sont des facteurs majeurs à prendre en compte dans la construction d’indices pour les mares et étangs. Pourtant, nombre d’entre eux n'ont pas été pris en compte dans les indices utilisés en France ou dans les pays limitrophes. Cela a probablement des conséquences sur la qualité des évaluations réalisées, et peut conduire à des stratégies de gestion non adaptées.
C’est en cours ! Un article sur les indices trophiques et sur la méthode prédictive que j’ai développée va être soumis au cours du mois de mai 2022. Cet article s'inscrit dans une nouvelle révision de l’indice, que j'espère soumettre avant fin 2022. Il suit toujours les préconisations de Hering et al., 2017, mais bascule d’un modèle principalement basé sur une typologie à un modèle purement prédictif. La nouvelle version, avec (presque) les mêmes métriques, répond à une plus large gamme de pressions et est plus sensible à ces pressions.
Le nouvel indice sera associé à un outil diagnostique permettant d’identifier quelles sont les pressions responsables de l’altération de l’indice multimétrique (par exemple la présence de poissons exotiques, d'un cours d'eau dégradé, une surpopulation d’oiseaux d’eau, du bétail qui accède au plan d’eau, des pratiques agricoles non vertueuses ou une trop forte urbanisation sur le bassin versant…).
Cette révision m'a permis de tester près de 800 métriques associées à plusieurs centaines de modèles prédictifs.
J'ai donc pu étudier le comportement des métriques ou groupes utilisés dans des indices utilisés par les gestionnaires. Par exemple, les Coléoptères sans modèle prédictif (utilisés dans l'ICOCAM) sont peu pertinents pour évaluer l'état des petits plans d'eau en général, sauf si on s'intéresse spécifiquement à l'impact des poissons sur les mares et étangs, car la présence de poissons "écrase" les impacts d'autres pressions qui pourraient être observés. Mais si on prend en compte la connectivité du plan d'eau à un cours d'eau (qui conditionne la présence "naturelle" de poissons), la taille du bassin versant (qui conditionne notamment la nature du peuplement piscicole), l'altitude, le climat, la superficie, l'ombrage, la profondeur moyenne et la géologie, alors les Coléoptères deviennent un bioindicateur très performant. Les odonates, qui sont souvent les seuls invertébrés à être suivis pour évaluer les mares, ne sont pas mieux lotis. Sans modèle prédictif, ils ne discriminent correctement aucune pression. Là encore, il faut prendre en compte neuf facteurs environnementaux pour obtenir de bons résultats! Dans l'article en cours de soumission, je démontre que l'IBML, développé pour les grands plans d'eau, est très faiblement corrélé au phosphore total. Ce n'est donc pas un indice trophique au sens strict du terme, en tout cas pour les petits plans d'eau. Toutefois, j'y démontre aussi que l'IBML (associé à un modèle prédictif!) est un des indices les plus performants pour discriminer les pressions. Les gestionnaires qui ont opté pour l'IBML pour évaluer un plan d'eau peu profond de moins de 50ha ont donc pu avoir tendance à diminuer les sources de nutriments en cas de mauvais IBML, alors que son altération pouvait être liée à d'autres sources de perturbation. Ces résultats soulignent l'importance pour un gestionnaire de choisir des outils dont l'application aux milieux étudiés a été validée. La publication de ces outils dans des revues internationales devrait être plus souvent exigée. Elle permet une validation indépendante par des chercheurs spécialistes du domaine, et de trouver des informations transparentes assurant une bonne utilisation et une bonne compréhension de l'outil.
J'ai également vérifié s'il était possible de proposer aux gestionnaires et à la société une version allégée de l'outil (avec des résolutions taxonomiques plus basses, à la famille pour les invertébrés, au genre pour les plantes, et sans estimation des abondances ou des recouvrements) dans l'esprit des sciences participatives. Les résultats ne sont guère satisfaisants, aucune métrique dérivée de cette approche ne discrimine des pressions. Pas le choix! Pour diagnostiquer convenablement une mare ou un étang, il faut des opérateurs aux compétences taxonomiques élevées et formés aux protocoles d'échantillonnages. Nous proposons donc des formations pour atteindre cet objectif. Ainsi, cette semaine, je forme à l'échantillonnage une doctorante qui travaille sur l'évaluation de la restauration de mares à l'échelle de l'Europe.
Hering, D., Feld, C.K., Moog, O., Ofenböck, T., 2006. Cook book for the development of a Multimetric Index for biological condition of aquatic ecosystems: Experiences from the European AQEM and STAR projects and related initiatives. Hydrobiologia 566, 311–324. https://doi.org/10.1007/s10750-006-0087-2
Le dernier article de ma thèse, qui vient de paraître dans la revue Biodiversity and Conservation, donne quelques éléments : les méthodes par transect, largement utilisées, sont fiables pour calculer un indice trophique (leur usage principal), mais plus coûteuses et moins performantes (même avec une pression d'échantillonnage élevée) pour détecter les espèces rares, exotiques ou évaluer les recouvrements/la structure des communautés végétales.
Le coupable? La répartition en patch des herbiers, qui limite l'efficacité des techniques de sous-échantillonnage.
Je propose un protocole simple, rapide, et reproductible (celui permettant de calculer notre indice BECOME), permettant d'évaluer l'état écologique, l'état de conservation des mares et étangs, ou de détecter précocement des espèces exotiques envahissantes, condition indispensable pour contrôler leur propagation.
A partir de ce protocole, j'y démontre également l'impact des écrevisses exotiques et des poissons sur l'intérêt conservatoire des communautés de macrophytes.
Retrouvez l'article ICI
Pour en savoir plus, vous pouvez contacter notre responsable R&D, Frédéric Labat (frédéric.labat@aquabio-conseil.com).
L'indice BECOME est un indice valable pour tout plan d'eau peu profond de métropole (jusqu'à 4m de profondeur moyenne, ou plus selon les conditions morphologiques et la situation géographique du plan d'eau), de 1m² à 50ha, permanent ou semi permanent (avec des assecs exceptionnels). En dehors de ces limites, l’outil peut être utilisé pour réaliser du monitoring. L'indice repose sur un relevé des macrophytes (végétaux visibles à l'oeil nu) et des macroinvertébrés (invertébrés visibles à l'oeil nu).
Les co-auteurs des protocoles et indicateurs BECOME sont: Frédéric Labat (docteur en écologie, Aquabio), Christophe Piscart (Directeur de recherche CNRS, Ecobio), Gabrielle Thiébaut (Directrice de recherche, Université de Rennes, Ecobio), Philippe Usseglio-Polatera (Directeur de recherche, Université de Metz, LIEC), et toute l'équipe d'Aquabio.
Les plans d'eau peu profonds se caractérisent par deux états bien distincts :
un état « clair », fonctionnel, avec des eaux claires, des communautés de macrophytes et d'invertébrés diversifiées
Les macrophytes sont l’habitat le plus biogène des plans d’eau peu profonds. Ils accueillent la majorité des invertébrés, des poissons et des algues non planctoniques (periphyton). Ils servent de support, d’abris, ou d’aliment pour ces êtres vivants (Wetzel, 2001). La présence d’une communauté de macrophytes diversifiée et abondante est donc essentielle au bon fonctionnement des plans d’eau peu profonds.
Ils limitent les phénomènes de houle qui peuvent entretenir un état turbide sur les plus grands plans d’eau (Scheffer et al., 1993).
Ils sont en compétition avec le phytoplancton souvent responsable des états turbides (blooms). Les macrophytes peuvent également empêcher l’apparition de ces blooms en secrétant des substances allélopathiques (Mulderij et al., 2007), substances empêchant la croissance de certaines algues ou autres végétaux.
Les plans d’eau sont des pièges à matière : s’ils ne disposent pas d’un édifice trophique complexe assurant la dégradation, le recyclage, l’exportation ou le maintien dans la chaîne alimentaire de la matière organique, celle-ci s’accumule plus rapidement, entraînant des dysfonctionnements ou un comblement plus rapide du plan d’eau.
Les invertébrés occupent la quasi-totalité des niches trophiques des plans d’eau (figure 2). Ils participent très largement au recyclage et à la dégradation des matières organiques vivantes et mortes. L’analyse de l’édifice trophique des invertébrés permet d’obtenir une image de ce dont ils se nourrissent : matières organiques mortes, phytoplancton, zooplancton, périphyton, et même une partie des vertébrés. Leurs cycles de vie sont de plusieurs mois à plusieurs années. Ils sont donc une expression synthétique du fonctionnement trophique global du plan d’eau sur au moins plusieurs mois.
Certains insectes aquatiques ont la capacité de voler et peuvent quitter le plan d’eau. Ils sont donc une source d’exportation potentielle de matière organique susceptible de ralentir l’enrichissement et le comblement du plan d’eau. Cette exportation est plus importante pour les espèces qui ne sont aquatiques qu’à l’état larvaire, ces dernières n’y retournant que pour pondre. Ces insectes sont largement consommés par de nombreux vertébrés et insectivores, dont de nombreuses espèces à fortes valeur patrimoniales (oiseaux, chauves-souris, odonates adultes...).
Figure 2 : Place des invertébrés dans le réseau trophique du plan d’eau et pour partie dans les écosystèmes environnants (Adapté de Baxter et al. 2005 et Oertli & Frossard, 2018)
Parmi les invertébrés, n'étudier que les Coléoptères ou les Odonates, souvent dans une approche strictement qualitative (présence/absence), ne permet de donner qu'une image très parcellaire et parfois trompeuse de l'état des mares et étangs (Figure 3). Les coléoptères des mares sont notamment généralement très sensibles à l'empoissonnement, la présence de poissons a tendance à écraser l'influence d'autres pressions susceptibles d'influencer l'état de conservation ou le bon fonctionnement des mares.
L’indice BECOME (Labat et Usseglio-Polatera, 2023) est un indice multimétrique qui respecte les préconisations (et va même au-delà) de la bioindication multimétrique issues des suivis d’état biologique en cours d’eau en Europe et ailleurs (Hering et al., 2006). Le respect de ces préconisations permet d'obtenir une évaluation robuste et opposable des mares et étangs. Cette évaluation repose notamment sur:
Des protocoles d'échantillonnage rapides, reproductibles et représentatifs, qui ont démontré leur efficacité pour obtenir une image représentative des communautés et repérer les espèces rares ou exotiques (Labat et al, 2022a, Labat et al, 2022b). Un exemple de comparaison de protocoles existants est disponible ici.
Une sélection des sites de référence basée sur des critères objectifs: plus de 80 sites dépourvus de pression observable/quantifiable, localisés sur tout le territoire français.
Des modèles prédictifs, qui permettent de fournir une "carte d'identité de référence" unique à chaque plan d'eau étudié, à partir de 10 descripteurs environnementaux (altitude, trois paramètres climatiques, géologie, superficie, profondeur moyenne, ombrage, distance à la source et distance au cours d'eau le plus proche). Le choix de ces descripteurs est issu des travaux d'une thèse terminée en 2021 (Labat, 2021).
Une combinaison de 11 métriques, sélectionnées parmi 879 métriques à partir d'une combinaison d'analyses statistiques extrêmement rigoureuse, basée sur des données récoltées sur 318 mares et étangs de métropole. Chacune de ces métriques est sensible à au moins huit types de pression. Certaines de ces métriques fournissent des informations utiles aux gestionnaires : niveau trophique, rareté moyenne des communautés, équilibre trophique du plan d'eau... L'indice BECOME qui les combine, permet de discriminer très précocément l'influence de 13 types de pression (tableau 1).
Un outil diagnostique, qui permet d'identifier les causes probables d'altération des communautés. L'outil diagnostique propose également d'évaluer l'impact de la présence de poissons, à ne considérer que pour les plans d'eau naturellement apiscicoles.
BECOME est donc le seul indice français pour les mares et étangs qui est validé par une démarche scientifique robuste basée sur des analyses statistiques, à toutes les étapes du processus.
Famille de pression | Type de pression |
Bassin versant | % de surface urbanisée |
% de surface agricole | |
% de prairies fertilisées ou surpâturées | |
Présence d'un rejet, ou cours d'eau alimentant le plan d'eau altéré. | |
Hydromorphologiques | Zone littorale peu accueillante (berges verticales ou instables) |
Sommet de berge altéré (piétinements anthropiques...) | |
Assecs | |
Biotiques internes | Ecrevisses exotiques bioturbatrices |
Poissons exotiques | |
Rongeurs exotiques | |
Cyprinidae | |
Surpopulation d'oiseaux d'eau | |
Bétail accédant au plan d'eau |
Les métriques sélectionnées sont :
TRI et SRI permettant d'évaluer la rareté moyenne du peuplement d'invertébrés et de macrophytes. Ces métriques, dérivées de Foster et al., 1989, sont basées sur la fréquence des taxons en milieu aquatique évaluée d’après un jeu de données de plusieurs milliers de sites en France continentale.
La richesse relative du groupe biologique g (Usseglio-Polatera et al., 2001), qui traduit une régression des invertébrés les plus caractéristiques des mares et étangs, et une modification de l'édifice trophique.
L'abondance relative des invertébrés détritivores, qui indique un dysfonctionnement de l'édifice trophique et une diminution des ressources alimentaires pour les écosystèmes avoisinants
Deux métriques qui traduisent une banalisation des communautés d'invertébrés, d'après leur thermophilie et leur préferendum altitudinal
La métrique TIM2S (Labat et Thiébaut, 2022), qui permet d'évaluer un écart au niveau trophique attendu
L'abondance relative des Ephéméroptères, indice précoce d'une eutrophisation
La richesse relative en Ephéméroptères, Plécoptères et Trichoptères, taxons plus tolérants à une large gamme de perturbations dans les plans d'eau
Figure 4 : Exemple de diagramme radar de l'outil diagnostique BECOME et résultat de l'indice et des métriques, sur un des rares plan d’eau des Pyrénées Orientales non empoissonné. L'outil diagnostique indique une très forte vulnérabilité naturelle du plan d'eau liée à sa morphologie qui n'impacte pas (ou très peu) l'indice, mais qui signale qu'un empoissonnement aurait de très graves conséquences sur ce plan d'eau. L'outil diagnostique indique un impact très modéré du pâturage, présent sur le bassin versant. Cet impact est observable sur la métrique TIM2S (très légère eutrophisation).
L’engagement envers la communauté dans une logique de développement durable fait partie des 7 engagements des sociétés coopératives comme Aquabio. Nous avons donc décidé :
de fournir un outil libre et gratuit pour calculer l’indice, disponible à cette adresse. Vous y trouverez le guide d’application de la méthode (de l’échantillonnage au traitement laboratoire), et un outil de calcul de l’indice en ligne,
de proposer des formations et des accompagnements aux structures qui le souhaitent pour appliquer la méthode dans les règles de l’art,
Pour toute information, n’hésitez pas à nous contacter à l’adresse plan.deau@aquabio-conseil.com
Les travaux de recherche ont été financés par Aquabio, et de 2016 à 2018, par une IPME biodiversité pilotée par l'ADEME, avec une participation de la FDAAPPMA 33.
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Ont également participé au projet : Le Parc National des Pyrénées, les PNR des Bauges, du Ballon des Vosges, de la Brenne, des Causses du Quercy, du Périgord-Limousin, du Plateau des Millevaches, des Préalpes Cotes d'Azur, des Volcans d'Auvergne et des Vosges du Nord, l'EPTB Seine Grands Lacs, les CEN d'Aquitaine, de Lorraine et du Limousin, l'ONF, l'ONCFS, la Fédération départementale des Chasseurs de Gironde et de l'Allier, les FDAAPPMA de Dordogne des Pyrénées Orientales et des Vosges, le GEREPI, l'AMV, les communes ou syndicats de communes d'Andernos, Sage-Blavet et Trégor Lannion. Ainsi que de nombreux propriétaires et collectivités qui nous ont autorisés à échantillonner leurs plans d'eau.
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Publications scientifiques issues du projet :
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Références
Foster, G. N., A. P. Foster, M. D. Eyre, & D. T. Bilton, 1989. Classification of water beetle assemblages in arable fenland and ranking of sites in relation to conservation value. Freshwater Biology 22: 343–354.
Hering, D., C. K. Feld, O. Moog, & T. Ofenböck, 2006. Cook book for the development of a Multimetric Index for biological condition of aquatic ecosystems: Experiences from the European AQEM and STAR projects and related initiatives. Hydrobiologia 566: 311–324.
Mulderij, G., E. H. Van Nes, & E. Van Donk, 2007. Macrophyte–phytoplankton interactions: The relative importance of allelopathy versus other factors. Ecological Modelling 204: 85–92.
Scheffer, M., 2001. Alternative Attractors of Shallow Lakes. The Scientific World JOURNAL 1: 254–263.
Scheffer, M., 2004. Ecology of shallow lakes. Kluwer, Dordrecht.
Scheffer, M., S. H. Hosper, M.-L. Meijer, B. Moss, & E. Jeppesen, 1993. Alternative equilibria in shallow lakes. Trends in Ecology & Evolution 8: 275–279.
Wetzel, R. G., 2001. Limnology: lake and river ecosystems. Academic Press, San Diego.
Rédaction : Frédéric Labat, 15/06/2023
Dernière MAJ : 08/09/2023
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